The author Louis Pergaud (1882-1915) lived during a fascinating and complex period in the development of the French national identity. It was a time when various forms of nationalism, many fed by lingering memories of the disastrous defeat of 1870/71, came to exert an enormous influence on the evolution of political, social and artistic expression in France. La Guerre des boutons is an example of a literary work deeply marked by the nationalistic tendencies prevalent in Belle Époque France. Without being a nationalist manifesto, nor an allegory of the Franco-Prussian war, Pergaud’s novel is founded in a popular nationalism which developed within an intellectual and political context shaped by the memory of the “année terrible” (1870/71), and which promoted an attachment to a so-called ancestral homeland, in-group/out-group rivalry, as well as the policies of “revenge” and “national defense”.
The research that went into supporting this thesis was firmly anchored in the belief that, though La Guerre des boutons may be appreciated as a text in isolate, it is best understood when viewed within a broad setting. Therefore, in addition to analyzing structural, thematic, textual and paratexual aspects of Pergaud’s novel, the present study draws heavily from the works of eminent historians, sociologists and linguists, as well as literary sources, in order to better understand the relationship between La Guerre des boutons and its context.
In demonstrating the depth and sincerity of the nationalism underlying Louis Pergaud’s novel, this thesis challenges the notion that La Guerre des boutons is simply a “coming of age” story. It also questions the validity of interpretations that identify La Guerre des boutons as primarily a satirical tale whose message is strongly anti-war. The recognition of the work’s nationalist underpinnings leads to the realization of a need for an in-depth reexamination of the character of this novel, as well as of its place within the literary spectrum.
Table des matières
Dédicace
Remerciements
Introduction
Esquisse biographique de Louis Pergaud
Résumé de la critique de l’œuvre pergaldienne
Présentation de thèse
Qu’est-ce que le « nationalisme » ?
Chapitre 1 : Le Nationalisme français à la Belle Époque
Le Nationalisme barrésienne
L’Identité gauloise
L’Ennemi héréditaire
Chapitre 2 : Le Revanchisme
La Revanche
L’Ignominie de l’ennemi/les Prussiens
L’Enseignement du Revanchisme
Le « Culte de l’Armée »
Un Fil d’Ariane
Chapitre 3 : La Défense nationale
Une intrigue de la défense nationale
Gambette/Gambetta
« Le Plan Trochu »
Conclusions
Rabelais, la parodie et le nationalisme pergaldien
Encore des analyses à faire !
Bibliographie :
Introduction
Dès ma première lecture, La Guerre des boutons a pris place parmi mes livres préférés. Même avant que ce roman ne soit devenu le sujet de mon mémoire de maîtrise, je l’avais déjà relu à « moultes » reprises. Il me semblait que Louis Pergaud avait vraiment bien traduit, dans son récit, l’essence de ce que c’était d’être un garçon grandissant dans des milieux peu privilégiés. Je me reconnaissais dans ses jeunes Longevernes. En fait, malgré le temps qui nous séparait, j’aurais dit que Pergaud racontait aussi ma jeunesse à moi, et dans le rire, et dans ce qu’il y avait de troublant. Une étude sur les fondements de ce roman était, d’emblée, un voyage personnel.
Mais, tout en reconnaissant la grande valeur de sa qualité universelle qui rend possible une telle identification de ma part, il ne faut pas oublier que La Guerre des boutons est tout d’abord l’expression de son auteur. Et, puisqu’un écrivain existe dans un contexte temporel et social, il est possible que l’œuvre de Pergaud porte des marques qui relèvent des grandes considérations de la Belle Époque française, telle que le nationalisme. Celui-ci est souvent regardé comme une des forces les plus influentes dans le développement de la Troisième République. On pourrait se demander à quel point l’écriture de Pergaud serait une révélation de cette influence. En effet, mon analyse démontre que son roman, La Guerre des boutons, est bâti sur des fondements nationalistes relevant d’un contexte politico-intellectuel qui nourrit un nationalisme populaire enraciné dans le souvenir de l’Année Terrible (1870/71), et prônant un attachement au territoire dit ancestral, la rivalité en-groupe/hors-groupe, le revanchisme et la défense nationale. Sans être ni un manifeste nationaliste, ni un récit allégorique de la guerre franco-prussienne, La Guerre des boutons illustre combien le nationalisme agit sur l’esprit, les perceptions, voire l’identité de son auteur.
On se rappelle que La Guerre des boutons : Roman de ma douzième année raconte l’histoire d’une saison dans le conflit pérenne de deux bandes de jeunes paysans, les Longevernes et les Velrans. Le récit suit principalement les péripéties vécues par les garçons longevernois dans leurs efforts de défendre l’honneur de leur commune. Ceux-ci comprennent des tactiques peu orthodoxes sur le champ de bataille, la réalisation d’un trésor de guerre, et la construction d’une cabane dans la forêt.
Le présent mémoire consiste en cinq parties : une introduction, trois chapitres, et une section intitulée « Conclusions ». Dans l’introduction, je présente une esquisse biographique de Louis Pergaud, je situe la présente étude dans le contexte de la critique pergaldienne, et je délimite le sens de mon emploi du mot « nationalisme ». Ensuite, dans le premier chapitre, les aspects de La Guerre de boutons indiquant son apparentement aux expressions littéraires du nationalisme français font l’objet d’une étude approfondie. Les deuxième et troisième chapitres examinent les qualités du roman qui révèlent une préoccupation, chez Pergaud, avec le revanchisme et avec le nationalisme de la défense nationale, respectivement. La dernière partie du mémoire se compose d’un résumé de mes arguments, de même que d’une réitération de leur pertinence. En tout dernier lieu, je signale quelques éléments de l’ouvrage qui, en vue de mes conclusions sur ses fondements nationalistes, mériteraient plus de recherche.
Esquisse biographique de Louis Pergaud
En 1877, l’année où la crise du 16 mai finit par « confirm[er] le choix républicain des Français » (Winock, Fièvre 86), Élie Pergaud est nommé maître d’école à Belmont. C’est dans ce petit village, situé à une trentaine de kilomètres de Besançon dans le Doubs, que, deux ans plus tard, l’instituteur épouse une paysanne, Marie Noémie Collette. « De leur mariage naquirent trois enfants : Pierre Amédée, né le 9 août 1880, décédé le 5 octobre suivant, Louis Émile Vincent Pergaud, né le 22 janvier 1882 […] et Lucien Amédée, né le 18 octobre 1883, décédé à Besançon en 1975 » (Chevalier 9). La petite famille Pergaud reste à Belmont jusqu’en 1888 lorsqu’Élie Pergaud est muté à Nans-sous-Sainte-Anne, toujours dans le Doubs, mais où il se sent tout de même étranger. Il n’y restera que deux ans avant sa nomination à Guyans-Vennes (Doubs) qui le ramène dans son pays natal. À Guyan, Élie Pergaud, chasseur passionné, est heureux de pouvoir partager ses anciens terrains de chasse avec son fils, Louis.
Louis Pergaud n’a que huit ans lorsque sa famille s’installe à Guyans-Vennes, mais cela ne l’empêche pas de suivre « son père dans ses courses à travers prés et bois. Il se familiarise avec le chien de chasse. Il fait connaissance des bêtes libres » (Carrez 18). En même temps, Louis s’applique bien à ses leçons scolaires. L’ardeur avec laquelle il fait ses études est récompensée le 14 juin 1894 lorsque « Louis Pergaud [est] reçu au Certificat d’études primaires, premier sur 85 candidats » (19). De là, Louis participe au cours complémentaire de Morteau avant d’entrer en pension à Besançon, chef-lieu du département, où il poursuit ses études « à l’école primaire supérieure de l’Arsenal (ainsi nommée à cause de sa proximité avec l’arsenal militaire) […] en vue d’entrer à l’école normale de Besançon » (20). On se rappelle qu’à la fin du XIXe siècle, les Écoles normales sont des institutions républicaines vouées à la formation des enseignants. Celle-ci est rigoureuse et touche aux domaines de la santé physique et morale, aussi bien qu’aux méthodes pédagogiques (Clade 27-91). Louis Pergaud entre premier de sa promotion à l’École normale de Besançon à la suite du concours de juillet 1898.
Pergaud connaît des moments difficiles pendant ses trois ans à l’E.N. « Il vit désormais dans un monde de sévérité et de stricte discipline » (Frossard 38). J. Robardet, un camarade de Louis Pergaud à l’École normale de Besançon, offre des précisions :
Le Directeur d’alors était la personnification acerbe d’un règlement que n’eût point désavoué un supérieur de séminaire : la moindre incartade était impitoyablement réprimée, la moindre faiblesse relevée, la moindre initiative passée durement au crible directorial dont les mailles étaient si ténues que rien ne surgissait au-delà. (15)
Pergaud se voit même interdire le privilège de passer ses heures de repos à lire ce qui plaît à ses goûts littéraires du moment, c’est-à-dire Theuriet, Sand, Fabre, etc. (Robardet 16). Mais de tels soucis n’ont que très peu d’importance à côté de la souffrance qui l’accable en 1900 suite à la mort inattendue et successive de son père et de sa mère. Cette perte fait que « [l]e Pergaud qui entre en 3me [sic] année, n’est plus le Pergaud d’antan. La douleur l’a muri, les rancœurs l’ont endurci, des goûts nouveaux lui sont nés » (17).
Parmi ses goûts nouveaux est une appréciation extrême pour l’œuvre d’un jeune poète Belfortain, Léon Deubel, dont Pergaud fait la connaissance grâce à un ami mutuel. L’influence que Deubel aura sur la vie de Pergaud ne saurait être surestimée. Pergaud voit en Deubel une inspiration, un modèle, un maître, aussi bien qu’un ami. C’est grâce à Deubel que Pergaud trouve « sa vocation littéraire » (Robardet 17).
Pendant sa dernière année à l’École normale de Besançon, Pergaud se jette de tout son cœur dans l’étude poétique. Il montre une préférence marquée pour les décadents. « Quel dommage que l’école, que le brevet supérieur, appellent à d’autres contingences ! » (Robardet 18). La préparation à l’examen du B.S. demande des efforts sérieux en tous les domaines scolaires. Pergaud s’y met malgré le fait qu’il trouve désagréable la révision de tous ses cours (Pergaud, Œuvres 6 : 13). Au mois de juillet 1901, son travail est récompensé par le succès. Avec le Brevet Supérieur et le diplôme de maître de gymnastique, Pergaud quitte l’École normale. Il passera quelques mois chez son oncle à Belmont avant de prendre son premier poste d’instituteur à Durnes (Doubs).
En dépit de quelques potins au moment des élections municipales, pour Pergaud « l’année scolaire 1901-1902 se passe relativement bien à Durnes » (Carrez 26). À côté de ses responsabilités pédagogiques, le jeune instituteur continue à poursuivre ses passions littéraires. Il en donne des précisions dans une lettre au Directeur de l’École normale de Besançon, M. Rouget :
Je délaisse d’ailleurs ces mesquines questions de politique de clocher pour d’autres plus sérieuses : Je relis tout Victor Hugo […] Je voudrais pouvoir lire les œuvres de Guyau : L’Irréligion de l’Avenir, Les Vers d’un philosophe, etc ., - dont un de mes amis m’a dit le plus grand bien […] Je voudrais bien aussi connaître à fond Renan et Flaubert […] Je suis encore en train d’évoluer en littérature. Après avoir été passionné pour les décadents et les symbolistes, je reconnais, tout en leur laissant mon admiration, que leurs œuvres trop pessimistes vous enlèvent toute énergie […] (Pergaud, Œuvres 6 : 19)
Quant à Pergaud, lui, il a l’énergie de ses ambitions. Il aimerait étudier des langues afin de se trouver un poste de précepteur à l’étranger. Mais de tels rêves doivent attendre puisqu’ « il faut satisfaire à cette funeste loi du recrutement et subir le cauchemar d’un ou deux ans de caserne », c’est-à- dire le service militaire obligatoire (Pergaud, Œuvres 6 : 20).
Pergaud décide donc de devancer l’appel de sa classe. « En novembre 1902, il est affecté au 35e d’Infanterie, à Belfort » (Léger 69). Les mois passés dans ce régiment frontière, réputé « un des plus durs de l’Est » (Carrez 26), sont difficiles pour Pergaud. Il souffre de la détresse pécuniaire, mais encore plus du manque de liberté. Le 23 mai 1903, il écrit dans son journal intime :
Je suis affamé de liberté, de la vraie vie loin des tracas militaires et du terre à terre de la famille. Partir ! lâcher tout et affronter l’inconnu ! Je bats malheureusement une lamentable purée. Encore huit sous en poche ! Ah ! oui, lâcher tout ! Vivre miséreux, mais vivre […] (Pergaud, Œuvres 6 : 22)
Pergaud termine la première étape de son service militaire et retrouve son poste d’instituteur en automne 1903. Le jeune maître d’école reprend « [sa] classe, sans dégoût, mais sans grand enthousiasme ». Il se révolte contre l’idée d’ « abandonner son “moi” au courant polisseur du métier et de devenir une pierre plate au fond de la rivière universitaire ». Il cherche à se nourrir l’esprit dans la lecture des œuvres de Nietzsche et de l’Anatole France (Pergaud, Œuvres 6 : 23).
La vie intime de Pergaud se révèle tout aussi mouvementée à cette époque. Pergaud « épouse une institutrice du voisinage » (Léger 74), Marthe Caffot, née à Gilley dans le Doubs. Elle est un peu plus âgée que Pergaud. Le couple connaît très vite « une mésentente notoire due très probablement à deux conceptions très différentes de la vie » (Carrez 28).
De plus en plus, et avec l’encouragement de Léon Deubel qui vient à plus d’une occasion séjourner chez les Pergaud à Durnes, la vie de Louis Pergaud s’oriente vers la création littéraire. « Du 22 mai 1904 au 20 août 1905 » l’écrivain fait publier « six poèmes plus ou moins sociaux » dans Le Flambeau, « l’organe de la Libre Pensée du Doubs » (Frossard 100). Son premier recueil de vers, intitulé L’Aube, est publié, à compte d’auteur, aux Éditions du Beffroi, en 1904. En outre, « Pergaud, correspondant du Petit Comtois, journal quotidien de Besançon, et du Flambeau, publie dans ces organes des chroniques locales où il malmène le curé et ses ouailles » (Léger 78). Ce faisant, Pergaud « soulève une telle hostilité contre lui qu’il est déplacé de son premier poste, Durnes, et envoyé à Landresse » (Thiesse 108).
C’est au début de l’année scolaire 1905, l’année même où sont votées les lois de la séparation des Églises et de l’État, que Pergaud arrive, précédé d’ « une réputation de socialiste, de mécréant et d’iconoclaste » (Chatot, « L.P. instituteur » 37), à Landresse, village comtois que l’écrivain qualifie de « pays ultra-chouan » (Pergaud, Œuvres 6 : 28). Dès son entrée en poste, Pergaud doit faire face « au mécontentement presque général des habitants du pays » qui ne se sentent pas à l’aise en confiant leurs enfants à un instituteur si peu croyant (Léger 88). Grève scolaire, lettres d’accusation, pétitions sont parmi les moyens dont les gens de Landresse se servent pour manifester leur colère contre le maître d’école qui ne répond pas à leurs critères. Pergaud « tien[t] tête à la bête », mais la vie professionnelle ne lui est pas souriante (Pergaud, Œuvres 6 : 28).
La situation n’est guère mieux en famille. Les rapports conjugaux vont en se dégradant. Dans une lettre datée le 17 janvier 1907, Pergaud en donne son point de vue : « Em…bêtements [sic] dans la famille de la femme avec la classique belle-mère et, ensuite, avec l’épouse qui ne comprend pas le poète, qui le raille et l’aigrit. Et puis scènes de jalousie… Quel bilan ! » (Pergaud, Œuvres 6 : 32).
On pourrait donc s’étonner de l’attachement exprimé plus tard par Pergaud pour « [c]e village [Landresse] qu’il devait immortaliser sous le nom de Longeverne et qui lui inspira ses meilleures pages » (Chatot, « L.P. instituteur » 36). Mais cette énigme a peut-être une explication très simple : à Landresse, Louis Pergaud a rencontré l’amour de sa vie, Delphine Duboz. Cela devait aussi exacerber les tensions conjugales qui, avec les ennuis professionnels, mènent Louis Pergaud, en 1907, à abandonner sa femme, Marthe, et à s’installer à Paris où l’écrivain espère faire fortune dans le monde littéraire.
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- Karl Haloj (Author), 2010, "Vive nous!" Les fondements nationalistes de "La Guerre des boutons", Munich, GRIN Verlag, https://www.hausarbeiten.de/document/215696